L'Oiseau Bleu
de Xavier Gil
Matéo vient d’avoir treize ans. Il appartient à la classe de quatrième B du collège Paul Verlaine. Il mène la vie normale d’un collégien de son âge, partageant son temps entre sa famille, ses copains et ses animaux. Pourtant, rien de ce qui va lui arriver n’est vraiment normal. Il découvre petit à petit, et son entourage avec lui, qu’il possède d’étranges pouvoirs. Ceux-ci apparaissent sous forme de signes : rêves et visions, maladies répétées, attitudes et phénomènes étranges, qui viendront s’accumuler jusqu’à une révélation brutale. Il lit dans l’esprit des gens, il parle aux animaux, il voyage par la pensée dans l’espace et le temps, il peut deviner le futur et sonder le passé, il peut guérir par la force de son esprit et, bien plus inquiétant, il peut parler avec les morts. D’où lui viennent ces pouvoirs et cette force qui prennent possession de lui ? Pourquoi lui ? Quel est ce vieil homme qui lui apparaît en songe ? Quelle est cette contrée étrange et démesurée qu’il traverse en rêve ? Que signifient ces appels qu’il ressent au fond de lui-même ? Qu’attend-on de lui ?
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L’homme savait que le moment était venu. Une grande
fatigue envahissait son corps malade. Il était prêt à
faire le grand voyage. Avant, il avait encore une dernière
mission à mener à bien. Une mission très importante.
Peut-être la plus importante, la plus difficile aussi. Il savait
où il devait se rendre. La veille au soir, il avait rassemblé
quelques affaires dans un sac qui attendait posé à même
le sol, près de la porte. Le minimum car la route était
longue. Ensuite, il s’était étendu tout habillé
sur sa couche, laissant son esprit vagabonder tandis que son corps
sec et noueux prenait du repos. Ses membres immobiles lui faisaient
mal. Son âme, elle, voletait librement comme un grand oiseau
bleu cobalt dans l’éther de la nuit. À l’aube,
il se leva, prit son sac en bandoulière et, sans se retourner,
quitta le village. Il prit le chemin forestier le long de la rivière
et disparut rapidement dans la brume du petit matin…
Matéo poussa le coude d’Émilie, sa voisine. Il
lui rendit le feutre qu’elle venait de lui prêter quelques
secondes auparavant et lui glissa un petit bout de papier sur lequel
il avait griffonné à la hâte cette question :
« As-tu un autre bleu ? Plus violet ? » Il cherchait une
couleur spéciale. Il considéra avec convoitise la trousse
pansue de sa camarade de classe, posée soigneusement devant
elle, à portée de main. Il hésita à s’en
emparer de force. Seules les filles possédaient ce type de
stylos qu’elles appelaient entre elles « les beaux stylos
ou les stylos magiques » Des stylos-billes aux couleurs originales
: vert pomme, rose fluo, aune canari, bleus de toutes les nuances.
Certains possédaient une encre aux teintes pastel, d’autres
un effet pailleté. Certains même possédaient une
encre odorante : cerise, banane, cannelle, chewing-gum, pop-corn.
Les flancs rebondis de cette trousse devaient contenir l’objet
convoité. Il en était persuadé et, pour finir
son dessin, il avait besoin d’un bleu, mais pas n’importe
quel bleu. Un bleu particulier, tirant sur le violet.
Attentive au cours, la jeune fille faisait mine de l’ignorer.
Pour attirer son attention, il lui tapota le bras à plusieurs
reprises et poussa avec insistance le bout de papier vers elle. Exaspérée,
elle finit par répondre aux injonctions de son voisin. Elle
fouilla sa trousse avec agacement, s’empara d’un feutre
et le lui lança sans même daigner tourner la tête.
Matéo considéra le bouchon de manière circonspecte.
Il l’ôta et se mit à colorier la feuille posée
devant lui. « Oui, ça pourrait bien être cette
couleur » Il jeta un regard furtif par la fenêtre pour
essayer d’apercevoir à nouveau l’oiseau qu’il
essayait de reproduire sur la feuille quadrillée. Quelques
minutes auparavant, cet oiseau voletait encore dans la frondaison
des grands marronniers, au loin, de l’autre coté de la
cour, face au collège.
C’était ridicule, il le savait bien. Il avait néanmoins
le sentiment que l’oiseau le suivait depuis plusieurs jours,
volant d’arbre en arbre. Un oiseau aux formes bizarres qu’il
ne connaissait pas. Le volatile lui paraissait de grande taille, mais
plus que sa stature, ce qui l’avait frappé était
sa couleur. Un bleu étrange. À la fois éclatant
et soutenu. Un bleu violet. Quelque chose le poussait à terminer
son dessin.
Ignorant le flot de paroles monocorde de Mademoiselle Boileau, professeur
de français de la classe de 4ème B du collège
Paul Verlaine, Matéo s’appliqua à colorier le
plumage de l’oiseau qu’il avait dessiné à
grands traits, campé sur une haute branche, au milieu du feuillage.
Feutre entre les lèvres, il se recula de quelques centimètres
pour considérer son œuvre. Satisfait du résultat,
il se pencha à nouveau sur sa feuille, tirant la langue sans
s’en apercevoir, tant était grande sa concentration.
Tout à son projet, il ne prit conscience du silence de la classe
que lorsque la silhouette menaçante de Mademoiselle Boileau
se dressa devant son bureau. Bras croisés, tête penchée,
lèvres serrées, Mademoiselle Boileau attendait. Quand
il leva les yeux vers elle, elle lâcha mi-sévère,
mi-moqueuse : « Tiens, tiens, tiens ! Et que fait là
notre Matéo ? » Bien que pris en flagrant délit,
Matéo essaya en se penchant en avant, de cacher son dessin
aux yeux de sa professeur. Il bredouilla : « Euh ! Rien »
« Comment, rien ! » s’exclama-t-elle, « Et
ça, Monsieur Verdier ? C’est quoi ça, au juste
? C’est rien ? »
Mademoiselle Boileau s’était emparée de la feuille
de papier que Matéo avait essayé avec maladresse de
dissimuler sous son avant-bras et, tout en la pinçant entre
ses doigts, la brandissait à la hauteur des yeux du coupable
avec un sourire victorieux. Dans son dos, la classe entière
fut soulevée d’une houle de rires.
Mal à l’aise, Matéo gigota sur sa chaise. Il chercha
des yeux une aide, un soutien, mais même ses copains le regardaient
en rigolant. Il sentit que la partie était perdue. Il courba
l’échine et essaya de rassembler ses esprits. Le regard
pesant et inquisiteur de Mademoiselle Boileau, l’empêchait
de réfléchir et de décider d’une conduite
à suivre. Il resta muet, la bouche sèche, le cerveau
vide, aucun son ne semblant vouloir sortir de sa gorge serrée.
Au bout de quelques pénibles secondes, il articula avec difficulté
les seuls mots qui lui vinrent à l’esprit : « Ben,
Oui, c’est… rien ! » Ces mots lui furent fatals.
Le sourire de Mademoiselle Boileau se figea en un rictus cruel. Ses
yeux se mirent à lancer des éclairs venimeux. Des mots
jaillirent de sa bouche comme des piquants : « Pendant le cours
de dessin, je ne sais pas ce que fait Monsieur Verdier : peut-être
du français, car pendant le cours de français, Monsieur
Verdier, là, fait du dessin » Elle agita l’œuvre
du fautif devant la classe hilare. « Ça se gâte
» songea Matéo. Il déglutit avec difficulté
et, se tassa sur sa chaise. Tournant son regard vers la fenêtre,
il tenta une explication d’un geste vague et désabusé
de la main : « C’est l’oiseau, là…
»
Mademoiselle Boileau aurait pu à cet instant faire preuve de
clémence mais elle prit cette réponse et le sourire
ingénu qui l’accompagnait, pour de l’impudence.
Les rires de la classe se brisant en vagues contre son dos l’encouragèrent
à se montrer impitoyable vis-à-vis de l’élève
insolent qui lui faisait face : « Quel beau dessin ! Quel merveilleux
oiseau dans son arbre ! Quel artiste nous avons là ! »
La classe, écroulée de rire, la poussa à porter
l’estocade. « Donnez-moi votre carnet de liaison ! Vous
aurez un mot à faire signer par vos parents. Vous viendrez
le récupérer à la fin du cours » Le cœur
de Matéo se mit à battre la chamade. « Mince,
pas encore un mot ! Ça va être ma fête à
la maison ! » Comment vais-je faire pour me sortir de ce mauvais
pas ? La fin du cours fut abominable. Émilie, lui jetait des
regards entendus, en tenant sa trousse à bonne distance ; ses
amis lui lançaient des coups d’œil moqueurs. La
sonnerie mit fin à son calvaire mais l’épreuve
la plus importante l’attendait encore.
Il attendit que la classe se vide avant de se présenter devant
son professeur. Cette dernière ne leva les yeux vers lui qu’après
avoir rédigé, d’une écriture froide et
implacable, le mot tant redouté. Elle plia le dessin, preuve
inachevée du méfait, et le glissa dans le carnet qu’elle
lui tendit d’un geste brutal. Elle s’adressa à
lui d’un air sévère : « Tu bavardes. Quand
tu ne bavardes pas, tu rêvasses. Et, quand tu ne rêvasses
pas, tu dessines. Tes résultats s’en ressentent. Ils
sont en chute libre ce trimestre. Pourtant nous ne sommes que début
mai et l’année est loin d’être terminée.
Il faut que tu réagisses et que tu te reprennes. J’espère
que cet avertissement te servira de leçon. La prochaine fois,
tu seras collé » Penaud, Matéo, marmonna de vagues
promesses en rangeant le carnet dans son sac. Il quitta le collège
en traînant les pieds et sur ses frêles épaules,
son cartable, semblait peser une tonne.
Il gagna le local à vélos et fut déçu
de constater que ses amis ne l’avaient pas attendu. Les derniers
collégiens s’égayaient devant le portail de l’établissement.
Il sortit sa clé de cadenas, s’agenouilla près
de la roue avant, défit la chaîne, la lova sous la selle
avec soin puis enfourcha son VTT flambant neuf, offert quelques jours
auparavant, pour ses treize ans. Maudissant Mademoiselle Boileau et
les affres de la vie scolaire, il se mit à pédaler avec
résignation sur le chemin du retour. C’était une
belle après-midi de printemps et le soleil encore vif donnait
envie de musarder le long des pistes cyclables et des chemins forestiers
plutôt que d’aller s’enfermer entre les quatre murs
de sa chambre. Il consulta sa montre. Le cadran luminescent lui annonça
qu’il n’était pas loin de cinq heures. Mieux valait
rentrer à la maison et gérer la situation qui s’annonçait
critique. Pendant le trajet, il ne put s’empêcher de laisser
errer son regard sur la cime des arbres pour y chercher une bulle
de couleur bleue. Depuis quelques jours, il n’arrivait pas à
détacher son attention de cet oiseau qui hantait irrésistiblement
son esprit. Il sentait comme une angoisse sourde étreindre
sa poitrine. Une appréhension mêlée de curiosité
et d’une certaine fascination. D’où venait cet
oiseau ? De quelle espèce était-il ? Pourquoi avait-il
l’impression d’être suivi et épié
par l’animal ? Il pédalait vigoureusement dans la pente
du cimetière quand son cœur tressaillit. Il aperçut
au loin, non pas la robe bleue de l’oiseau mystérieux
mais la jupe colorée de Lola. Il s’assura que personne
de sa classe et surtout qu’aucun de ses copains ne soit aux
alentours, avant de forcer la cadence pour rattraper la jeune fille.
Le cœur battant, il la rejoignit devant les grilles du cimetière
:
« Salut, Lola !
- Bonjour Matéo !
- Ça va ?
- Ça va, et toi ?
- Plus ou moins. Je viens d’écoper d’un mot en
Français. C’est Mademoiselle Boileau. Hyper sévère
! Tu verras quand tu seras en quatrième.
- Qu’est-ce que tu as fait pour avoir un mot ? »
Matéo préféra éluder la question et marmonna
une vague explication avant de s’enquérir d’un
ton protecteur, des nouvelles de la classe de 6ème A. Elle
lui narra quelques anecdotes avec certains des professeurs qu’il
avait eus les années précédentes. Il l’écouta
avec ravissement, fasciné par le mouvement délicat de
ses lèvres roses, la blancheur de sa peau, la blondeur de ses
boucles. En retour, il lui raconta quelques-uns de ses faits d’arme,
avec ces mêmes professeurs. Il en rajouta un peu, pour assurer
son effet. Lola n’était pas dupe mais elle rit de bon
cœur. Tandis qu’elle riait, Matéo put discerner,
au fond de ses grands yeux clairs, une ombre de tristesse. Voilà
six mois déjà que Lucas, le grand frère de Lola
était mort. Un accident de scooter. Un accident bête.
Mais pour Lola, cet accident c’était encore hier. Une
blessure ouverte qui saignait toujours. Matéo le savait car
Lola s’était souvent confiée à lui. Il
savait qu’elle allait tous les jours se recueillir sur sa tombe
:
« Ça va, vraiment ?
- Oui, oui vraiment.
- Tu viens du cimetière ?
- Oui, je suis allée sur sa tombe un moment.
- Gêné, Matéo ne sut quoi répondre et resta
un moment sans rien dire.
- Tu veux que je t’accompagne jusque chez toi ?
- Oui, si tu veux bien. C’est gentil !
- Ils se mirent à pédaler à l’unisson en
direction de la maison de Lola, à deux pas de celle de Matéo.
- Alors tu ne veux pas me dire pourquoi tu as reçu un mot ?
»
Matéo sourit malgré lui. Avec Lola c’était
différent. Il pouvait tout lui dire. Elle-même lui avait
déjà dit des secrets, des secrets intimes. Comme par
exemple, son deuxième prénom. Peu de personnes savaient
que Lola s’appelait en fait, Lola Venise. Oui, Lola comme Lola
et Venise comme Venise, la ville. Car, lui avait-elle avoué
avec emphase, c’est dans cette ville, que mes parents adorent,
que j’ai été conçue. Face à ce secret
merveilleux, et d’autres encore, il avait bien été
obligé lui aussi d’ouvrir quelques jardins personnels.
C’est ainsi qu’il lui avait confié certains secrets.
Ces secrets étaient comme des gages qu’ils s’échangeaient.
Ils avaient ainsi scellé leur amitié. Matéo lui
expliqua donc pourquoi il avait été puni. Il lui parla
de l’oiseau bleu. Elle l’écouta avec attention.
Il s’embrouilla un peu dans ses explications ce qui lui valut
quelques remarques taquines de la part de la fillette.
Après avoir laissé Lola devant chez elle, Matéo
se hâta pour rentrer chez lui. Arrivé devant la grande
maison familiale, il descendit de son vélo et jeta un coup
d’œil par-dessus le portail en chêne. Pas de voitures.
Normal. Il était encore tôt. Ni ses parents, ni son frère
ni sa sœur n’étaient encore rentrés. Sortant
du collège à seize heures trente, il était normalement
le premier à arriver à la maison vers les cinq heures,
cinq heures et quart selon qu’il prenait le bus ou qu’il
rentrait à pied ou en vélo. Justine, sa grande sœur
ne revenait du lycée qu’une bonne heure après
lui, suivie de près par son frère, Hugo. Leur mère
quant à elle, ne revenait pas de la bibliothèque municipale
où elle travaillait avant dix-huit heures trente. Leur père,
quittait rarement son bureau avant dix-neuf heures trente, et arrivait
donc en dernier peu avant huit heures. Pour l’instant, il était
donc tranquille. En fait, même quand son frère et sa
sœur étaient à la maison, Matéo était
assez tranquille. Justine, dix-sept ans, préparait le bac en
classe de terminale. Hugo, dix-neuf ans, était en Maths Sup.
Dès leur retour à la maison, les deux grands s’enfermaient
dans leurs chambres respectives pour travailler. Ils n’en sortaient
que pour s’alimenter et pour se livrer à quelques rares
activités.
Deux fois dans la semaine, Justine rejoignait sa troupe de cirque
et Hugo partait s’entraîner dans son club de natation.
Ils réintégraient ensuite au plus vite leurs chambres
transformées en cavernes studieuses, d’où Matéo
était totalement interdit de séjour. Des aboiements
accompagnèrent Matéo tandis qu’il faisait le tour
de la maison et rangeait son vélo dans le garage. Quand il
ouvrit la porte intérieure du garage donnant directement dans
la cuisine, il libéra une boule de poils blanche, montée
sur ressorts, qui l’accueillit avec une joie démonstrative.
Le chien, qui tortillait du derrière dans tous les sens, finit
par se caler contre la jambe de son petit maître, l’invitant
du regard à lui faire des caresses. Matéo enfonça
ses doigts dans le pelage doux et cotonneux. Sans même poser
son sac, il s’engagea dans une longue séance de grattouilles.
« Comment vas-tu Ramsès, comment vas-tu mon chien ? »
Quand il se redressa, le dénommé Ramsès, un petit
coton mâle de deux ans, lui quémanda à nouveau
des caresses en posant ses deux pattes avant sur la cuisse. Il gémissait
tout en battant l’air de sa queue en panache. Matéo sortit
dans le jardin et joua un long moment avec lui avant de passer à
nouveau dans la cuisine pour engouffrer un monstrueux goûter
qui lui permettrait d’attendre l’heure du dîner.
Après avoir englouti plusieurs tartines de pain beurré
avec du chocolat, il regagna sa chambre, Ramsès sur ses talons.
La maison des Verdier était une grande bâtisse construite
sur deux étages au milieu d’un immense jardin arboré.
Les parents avaient établi leurs quartiers au rez-de-chaussée,
où étaient les parties communes, laissant l’étage
du haut pour leurs enfants. Hugo et Justine possédaient chacun
leur chambre, l’une en face de l’autre, dans la partie
gauche de la maison. Matéo, pour sa part, avait hérité
d’une immense pièce aménagée dans la tour
carrée flanquant l’aile droite de la villa. À
l’origine, cette pièce était la chambre d’amis
car elle disposait d’une salle de bains attenante et bénéficiait
d’un accès indépendant. Un escalier extérieur
permettait en effet de descendre dans le jardin. La chambre avait
ensuite été transformée en salle de jeux avant
de lui être attribuée définitivement. C’était
une vaste pièce de près de quarante mètres carrés
située juste au-dessus du salon. Plus qu’une chambre,
c’était tout à la fois, la grotte d’Ali
Baba, un repaire de pirates, une base d’agents secrets, un véritable
zoo. Sur la porte qui donnait sur le couloir distribuant vers les
chambres de son frère et de sa sœur, un écriteau
pendu à simple clou donnait le ton : « Prière
de ne pas déranger. Propriété privée.
Code secret obligatoire ».
Matéo adorait sa chambre. Il disposait d’une salle de
bains pour lui tout seul, ce qui lui permettait de pouvoir se doucher
ou se baigner pendant des heures sans avoir à subir les foudres
du reste de la famille. Il appréciait l’espace qui lui
permettait de stocker et conserver toutes sortes d’objet. Il
aimait énormément son balcon qui lui permettait d’accéder
directement au jardin et à la terrasse. Du haut du balcon,
il pouvait embrasser tous les alentours. Il pouvait ainsi surveiller
les environs et en particulier, repérer l’arrivée
de ses amis. Ainsi le balcon devenait tour à tour : mirador,
poste de vigie, tour de gué. Il aimait enfin la luminosité
de la pièce. Une large porte-fenêtre donnant sur le balcon
orienté plein sud, laissait rentrer en permanence, un flot
de lumière. C’était particulièrement agréable
avec l’arrivée des beaux jours. Matéo ouvrit son
cahier de texte. Anéanti par l’ampleur de la tâche
et la folie de ses professeurs, il se contenta de faire rapidement
son cartable pour le lendemain, laissant les devoirs pour plus tard.
Il laissa sur le coin de son bureau, le carnet de liaison qu’il
aurait à faire signer par ses parents. Là aussi, on
verrait plus tard. Il préféra faire le tour de ses animaux.
Chaque animal représentait un cadeau d’anniversaire.
Il se tourna en premier vers Cooky son cochon d’Inde. Il ouvrit
sa cage et le prit dans ses mains, le protégeant des assauts
de Ramsès. Il l’inspecta, le gratta derrière l’oreille
jusqu’à ce que les couinements apeurés du petit
animal se transforment en ronronnements de plaisir. Il le plaça
sur son épaule où le rongeur resta niché pendant
qu’il allumait son ordinateur et consultait sa messagerie électronique.
Divers camarades de classe venaient aux nouvelles. « Alors,
collé ou pas collé ? » Après avoir répondu
de manière tout aussi laconique, il lança des messages
à ses copains pour fixer un rendez-vous pour le lendemain matin.
« Départ en vélo 7 h 30 devant les grilles du
cimetière » Il remit Cooky dans sa cage et tourna son
attention vers Pistache, sa perruche. Après s’être
assuré que la fenêtre était bien fermée,
il ouvrit la porte de sa cage et laissa l’oiseau s’envoler
dans la pièce. Pistache se réfugia sur son perchoir,
en réalité un vieux portemanteau sur pied trouvé
au grenier. C’était une petite perruche ondulée
d’Australie, à la silhouette gracile dans sa livrée
jaune et verte. Il inspecta la cage posée sur une table près
du radiateur. C’était une large cage en fil de fer, aux
barreaux étroits, fermée sur deux côtés
par une fine planche de bois pour préserver l’intimité
de l’animal. Pendant que l’oiseau voletait dans la chambre,
il changea l’eau de l’abreuvoir en porcelaine et du petit
bac de plastic servant de baignoire.
Il nettoya également le bac de sable fin dans lequel l’oiseau
se séchait après son bain. Il plaça des graines
dans la mangeoire. Si le chien et le cochon d’Inde n’étaient
pas les meilleurs amis du monde, le chien et la perruche faisaient
malgré tout bon ménage. Les seuls vrais moments de tension
intervenaient quand la perruche se perchait sur le bord de la gamelle
de Ramsès. Le chien grognait alors pour montrer son mécontentement.
Elle pouvait cependant impunément grimper sur son corps ou
se planter sur sa tête.
Le chien la laissait faire. Au pire, s’ébrouait-il, comme
un chien mouillé, occasionnant l’envol de la délicate
perruche, à peine effarouchée.
Il était en pleine conversation avec Pistache quand la porte
du bas claqua : Hugo ou Justine venait d’arriver. Il pensa avec
appréhension que dans peu de temps ses parents rentreraient.
Il aurait alors la difficile tâche de leur faire signer le mot.
Il réintégra la perruche dans sa cage. Tout en lui parlant
à haute voix, il pulvérisa de l’eau sur son plumage.
Il se rappelait ce que le vendeur lui avait dit : « Si tu lui
dis chaque jour quelques mots simples pendant une vingtaine de minutes
environ, tu devrais pouvoir lui apprendre à parler. Il faut
qu’elle soit concentrée. Parle-lui plutôt le soir,
pendant que tu prends soin d’elle ou avant qu’elle s’endorme
» Il appliquait donc les recommandations du vendeur à
la lettre. Pour l’instant sans succès. Les perruches
possédaient une grande longévité. Elles pouvaient
vivre vingt années. Il avait donc le temps et prenait son mal
en patience. Il pensa à nouveau à l’oiseau bleu.
Pourrait-il un jour le voir de près et lui parler comme il
le faisait maintenant avec sa perruche ? Il l’observa s’installer
sur sa balançoire pour la nuit. Pistache était une couche-tôt.
Il recouvrit la cage d’un tissu léger et lui souhaita
bonsoir. Il passa dire bonjour à Léon son poisson rouge
qui, dans son bocal, faisait inlassablement des cercles autour d’une
épave en plastic sur laquelle on voyait un pirate tendre un
sabre d’abordage. Il lui donna une pincée de vers. Il
n’eut pas le temps de descendre saluer Charlotte sa tortue,
les pneus d’une voiture grincèrent sur le gravier. Maman
rentrait à la maison. Il allait falloir jouer serré.
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