Seuls les morts dorment le jour
Quelle relation peut-il bien exister entre un étudiant victime d’un accident de la route, une femme agressée chez elle et un homme d’affaire souffrant d’un malaise dans un avion ? Aucune à première vue. Et pourtant, un lien ténu, léger et fragile comme une bulle d’azote, les relie entre eux. Mathias et Zoé étaient de garde cette nuit-là, à l’hôpital Nord de Marseille. Une nuit qui allait bouleverser leur vie pour le meilleur… et pour le pire aussi.
Voir le catalogue de 17 romans
Voir les photographies du voyage ayant inspiré le roman
Gérard se serait volontiers passé du désagrément
qu’il occasionnait bien malgré lui. Tout avait commencé
dès le décollage. Il avait alors ressenti de légers picotements,
comme si une multitude d’insectes se baladaient sous sa peau. Puis,
alors que l’appareil prenait de l’altitude, des cloques avaient
bourgeonné sur son corps. La peur avait alors submergé son cerveau
en même temps que ses articulations devenaient douloureuses. Il avait
eu la sensation que la synovie qui lubrifiait auparavant leurs mouvements
avait été remplacée par du papier de verre.
Avant d’être totalement bloqué, il avait appuyé
dans un ultime effort sur le bouton d’appel de l’hôtesse
de l’air. Celle-ci avait pris son temps : apporte un verre à
un passager ; ramasse un journal glissé dans la travée ; sourit
à une star du tennis ; discute avec un collègue ; et enfin arrive
près de Gérard ; se penche sur lui et lui demande…
« Vous désirez quelque chose, Monsieur ?
-…, avait répliqué Gérard
- Excusez-moi, je n’ai pas bien entendu, avait rétorqué
l’hôtesse sans se départir de son sourire homologué
par la compagnie aérienne.
-…, avait insisté Gérard qui ne pouvait plus parler.
- J’ai peur de ne pas vous comprendre, vous désirez un verre
d’eau peut-être ? »
Alors sans y être toutefois invité, le voisin de Gérard
répondit à sa place :
« Excusez-moi de me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais je
crains que Monsieur ne soit indisposé.
- Vous croyez vraiment ? avait demandé l’hôtesse incrédule,
refusant d’envisager qu’un événement imprévu
pût retarder la fin de son service.
- Depuis le décollage il n’arrêtait pas de se tortiller,
de se gratter et puis subitement il s’est figé après vous
avoir appelée. Je ne suis pas médecin, mais cet homme n’est,
de toute évidence, pas dans son assiette. »
Un médecin, voilà ce qu’il fallait !
L’hôtesse s’était alors dirigée d’un
pas décidé vers le fond de la cabine à la recherche d’un
interphone. Et elle avait passé son annonce…
Les candidats au sauvetage de Gérard ne se bousculaient pas. L’heure
tardive devait y être pour beaucoup, et le fait aussi que l’on
fût un dimanche soir. Qui a envie de faire des heures supplémentaires
non payées le week-end ? Enfin, un homme se leva de son siège
et s’approcha, hésitant, de l’hôtesse impatiente.
« Vous êtes médecin ? demanda-t-elle en soupirant, rassurée
de pouvoir enfin se décharger de son fardeau sur un professionnel de
la santé.
- Heu ! Pas tout à fait, répondit l’homme d’un air
ennuyé, rouge de confusion.
- Alors veuillez vous asseoir, nous ne pouvons pas assurer le service de cabine,
car nous avons une urgence médicale à régler, répliqua
l’hôtesse d’un ton sévère.
- Je suis venu pour cela.
- Donc vous êtes médecin.
- Pas vraiment.
- Vous êtes quoi alors ?
- Vétérinaire… »
L’hôtesse laissa échapper un long soupir… de lassitude
cette fois.
« Bon, attendez un moment, je vais faire une nouvelle tentative »,
grommela-elle avant de réitérer son appel au secours. Elle patienta
quelques minutes, puis se décida enfin à traiter avec le vétérinaire.
« Venez avec moi », lui dit-elle en l’entraînant à
sa suite.
Gérard n’avait pas bougé ; il en était d’ailleurs
totalement incapable. Le vétérinaire l’examina un peu,
le palpa par ci par là, chercha le pouls, le trouva bien qu’il
ne fut pas à la même place que chez ses patients canins et félins
habituels, et décréta avec prudence :
« Cet homme a subi une attaque. Il est paralysé… »
« Merci du renseignement ! » pensa l’hôtesse qui s’en
était aperçue par elle-même.
«… il faudrait l’amener de toute urgence dans un centre
hospitalier, continua le vétérinaire.
- Et où voulez-vous que je trouve un hôpital à mille mètres
d’altitude ? pleurnicha l’hôtesse qui voyait pour le coup
disparaître la fin de son service dans les limbes des problèmes
administratifs qui allaient immanquablement surgir.
- Peut-être en atterrissant, suggéra le vétérinaire,
toujours aussi mesuré dans ses opinions.
- Cela ne va pas plaire à tout le monde », gronda l’hôtesse
qui se décida enfin à contacter le commandant de bord.
Avant de prendre sa décision, le commandant demanda au navigateur
leur position et jugea en conséquence qu’il était préférable
de faire demi-tour pour retourner à l’aéroport de Marseille
Provence. Par interphone, il informa les passagers de sa résolution
et laissa le personnel de cabine se débrouiller avec l’émeute
qui s’en suivit.
La grogne était toutefois légitime car l’avion ne pourrait
pas repartir le soir même et tous les passagers étaient cordialement
invités à se présenter le lendemain pour un nouvel embarquement.
Mais Gérard était au-dessus de tout ça maintenant. Il
était tombé dans le coma, dégagé en quelque sorte
de tous les petits soucis de l’existence. Son corps restait toutefois
concentré sur l’essentiel, sa propre survie.
L’avion se posa dans un brouhaha de protestations sur le tarmac de
l’aéroport et s’arrêta tout à côté
de la passerelle de débarquement. Déjà, l’équipe
des Sapeurs Pompiers attendait avec son matériel de réanimation.
Lorsque les hommes en uniforme pénétrèrent dans la cabine,
un grand silence glacé souffla entre les travées, ramenant les
passagers à une perception plus juste de la situation, leur permettant
ainsi de relativiser leurs ennuis de planning contrarié.
Aussitôt Gérard fut placé sous respirateur, le taux d’oxygène
poussé au maximum. Puis il fut allongé sur une civière
et débarqué de l’avion.
Les passagers se levèrent alors, toujours en silence, comme pour une
procession funèbre, se dirigeant en ordre relatif vers la porte de
sortie. Pendant ce temps, Gérard était emmené à
grands renforts de sirènes hurlantes en direction de l’hôpital
Nord.
*****
Fred remontait en scooter le boulevard Michelet par la contre-allée.
Ce soir, il avait le temps — comme tous les soirs d’ailleurs —
et il aimait bien voir la gueule – et parfois le cul — des tapineuses
qui se penchaient sur les vitres baissées des voitures conduites par
des michetons en mal d’amour faisant leur marché de sensations
fortes.
Les filles se répandaient la nuit sur le boulevard, comme des lucioles
attirées par la lueur fantomatique des étoiles. Elles brillaient
sous leur maquillage clinquant et scintillaient dans leurs vêtements
aguicheurs.
Fred passait toujours par la contre-allée pour rentrer au campus de
Luminy, il respirait alors l’odeur de stupre et de fornication qui se
dégageait des voitures stationnées dans les coins obscurs de
l’allée. Parfois, il s’approchait d’une portière
et jetait un œil gourmand à travers la vitre. Personne ne le remarquait
dans le feu de l’action, et si d’aventure c’était
le cas, il n’avait qu’à monter les gaz de son scooter pour
dégager avant que la fille ou son client ne sortît du véhicule.
Le halo des lampadaires formait des îlots où se réfugiaient
les belles — et souvent les moins belles — de nuit. Fred repéra
un petit groupe de trois filles plutôt jolies auprès desquelles
une voiture était arrêtée, les feux stop au rouge vif.
« À l’image de ton gland, ducon ! » pensa-t-il très
fort lorsqu’il fut bloqué derrière le véhicule
qui obstruait toute la voie. Il le pensa un peu trop fort peut-être
car les trois filles le regardèrent et lui firent signe de dégager,
le tout ponctué de gestes obscènes et d’insultes pittoresques.
Sous son casque intégral, Fred s’en moquait un peu. Il n’entendait
pas grand-chose et sa visière lui donnait l’impression de voir
un film muet à la télévision.
Enfin, le conducteur se décida et invita une des travailleuses à
monter le rejoindre dans sa voiture. Par jeu, Fred les suivit jusqu’au
recoin sombre où le véhicule se gara. Puis il attendit, tous
feux éteints, le moteur au ralenti, presque silencieux. Il vit le conducteur
régler la prestation à l’avance, la fille se saisir des
billets pas encore durement mérités, et les enfouir dans son
soutien-gorge en dentelle noire. Le client impatient ouvrit alors sa braguette,
baissa son pantalon et la fille se pencha afin d’accomplir le travail
pour lequel elle avait été payée.
Un sourire béat apparut sur les lèvres du conducteur à
bout de désir, et ce fut à cet instant précis que Fred
alluma son phare et illumina la scène qui se déroulait dans
l’habitacle de la voiture. Afin de rendre la situation plus inconfortable
encore, il fit gronder son moteur au plus près de la portière.
La fille releva la tête brusquement et faillit au passage emporter entre
ses dents une partie — petite certes mais très utile au demeurant
— de son partenaire. Ce dernier paraissait furieux et, sans prendre
le temps de rajuster son pantalon, il ouvrit la portière en vociférant.
Fred n’en attendait pas tant, il s’enfuit en rigolant derrière
sa visière baissée, ravi de sa plaisanterie. Il roula une centaine
de mètres à vive allure, puis ralentit. Ce fut alors que, malgré
son casque, Fred entendit un moteur rugir derrière lui…
L’homme n’était pas un micheton ordinaire qui, au moindre
problème surgissant lors de ses expéditions nocturnes, s’éclipsait
et retournait sagement retrouver sa bourgeoise ou son appartement vide. Le
client de la fille, frustré dans son plaisir, le suivait en gesticulant
et en criant dans sa voiture. À ses côtés la fleur de
bitume gueulait aussi, mais pour descendre du véhicule. Elle n’avait
que faire de ces gamineries. Elle était là pour travailler,
pas pour jouer à course-poursuite avec un demeuré à scooter
!
Fred accéléra aussitôt et sentit un long frisson lui parcourir
l’échine. Le jeu prenait de l’ampleur. Il se pencha en
avant, le visage collé contre le guidon, cherchant à diminuer
sa résistance au vent. Mais le gain de vitesse était dérisoire,
le micheton lui collait aux fesses et son pare-chocs frôlait la roue
arrière du scooter. Fred commença alors à avoir peur,
sérieusement peur. L’autre fou n’avait qu’à
forcer sur l’accélérateur pour l’envoyer dinguer
sur le rebord du trottoir.
Le trottoir, bien sûr !
Pour échapper à la pression du conducteur furieux, Fred n’avait
qu’à monter sur l’immense trottoir qui s’étalait
entre le boulevard et la contre-allée. Mais fallait-il encore pouvoir
en franchir le bord haut d’une vingtaine de centimètres.
Le micheton serrait le scooter au plus près et parfois il donnait un
petit coup sur la roue arrière afin de le déstabiliser. Fred
rattrapait alors l’engin en se contorsionnant au risque de s’étaler
sur la chaussée. Soudain une bretelle venant du boulevard lui donna
l’occasion de faire sa manœuvre d’évasion.
Dans un enchaînement désespéré, il grilla le stop,
braqua à fond vers la gauche en dérapant et s’engagea
à contresens dans la bretelle, puis il vira sur la droite en chassant
de l’arrière et grimpa sur le trottoir au niveau d’un passage
piéton. Alors, enfin en sécurité au milieu des arbres,
des abribus et des bancs, il ralentit l’allure et se permit de faire
un doigt d’honneur au micheton qui le suivait encore le long de la contre-allée.
Fred était content, il ne risquait plus rien maintenant, mais l’adrénaline
déversée en quantité dans son organisme le rendait fébrile,
aussi roula-t-il doucement, cherchant à faire baisser la pression.
Derrière les voitures en stationnement sur la contre-allée,
le micheton lésé ne voulait pas lâcher l’affaire
aussi vite. Il calquait son allure sur celle de Fred et vociférait
derrière sa vitre baissée. La marchande d’amour avait
renoncé à s’époumoner en vain et attendait une
opportunité pour s’échapper du véhicule.
La fin du boulevard Michelet approchait. Au loin le rond-point de Mazargues
se profilait, et avec lui, de nouveaux ennuis : Fred allait forcément
retrouver là-bas le micheton teigneux. Il arrêta alors son scooter
entre deux arbres et réfléchit un instant. Finalement, il n’était
pas si pressé que ça de rentrer sur le campus de Luminy. Il
pouvait tout aussi bien faire une virée en ville. Sans hésiter,
il fit demi-tour et roula à vitesse réduite, toujours sur le
trottoir, mais dans la direction opposée, vers le rond-point du Prado.
Au moment où il franchissait en sens inverse la bretelle, qu’il
venait juste de traverser quelques instants auparavant, il tourna la tête
afin de situer la voiture du micheton et ne vit pas arriver un gros 4x4 équipé
d’un parebuffle qui déboulait à vive allure du boulevard.
Le scooter percuté de plein fouet fut propulsé une dizaine de
mètres plus loin et se répandit sur le goudron, matériel
et conducteur toujours accrochés l’un à l’autre.
Le micheton était garé à une cinquantaine de mètres.
Voyant qu’il ne pourrait plus rattraper le petit merdeux à scooter,
il avait décidé de s’arrêter en bordure de la contre-allée
afin que la fille pût terminer le travail commencé. Le bruit
du choc l’extirpa de sa jouissance et la fille sursauta en serrant malencontreusement
les mâchoires. Son client malchanceux hurla de douleur, mais son cri
ne put étouffer les crissements de métal broyé.
L’arpenteuse de l’asphalte tourna la tête vers l’origine
de ce bruit strident. Elle vit alors un 4x4 de ville se précipiter
vers le scooter et son conducteur étalés sur la chaussée.
Le lourd véhicule, certainement emporté par son élan,
roula sur l’engin déjà mal en point, puis une des roues
équipées de pneus crantés passa sur le jeune homme blessé.
Oubliant sa douleur mal placée, le micheton regardait lui aussi la
scène, avec effroi. Tout à l’heure, il avait talonné
le merdeux sur son scooter pour lui faire passer l’envie de recommencer
ses plaisanteries douteuses, mais il n’avait pas osé le percuter.
Alors que le conducteur du 4x4 n’avait apparemment pas ses scrupules
: il roulait maintenant sur le corps du petit plaisantin qui payait plutôt
chèrement son manque de respect auprès des travailleuses et
de leurs clients.
Puis la fille et son miché virent le 4x4 reculer, en écrasant
de nouveau les restes éparpillés du scooter et le corps de son
pilote, pour reprendre le boulevard en direction du col de la Gineste.
Dès qu’il fut parti, la fille sortit en courant de la voiture
et se précipita vers le jeune homme qui gisait au milieu d’une
mare de sang répandue sur le revêtement goudronné, luisant
des reflets blêmes des lampadaires.
Elle n’osa pas s’approcher trop près et le regarda à
distance. Elle ne savait pas quoi faire. Le claquement d’une portière
suivi d’un grincement d’embrayage la fit se retourner : son micheton
prenait la fuite, comme l’avait fait avant lui le responsable de l’accident.
Pourquoi rester pour s’attirer des ennuis, elle n’avait qu’à
faire comme eux !
La fleur de bitume quitta alors ses chaussures à talons hauts qui faisaient
tant fantasmer ses clients, les agrippa d’une main et se mit à
courir pieds nus vers ses frangines qui tapinaient à plusieurs centaines
de mètres de là. Ces dernières semblaient n’avoir
rien vu et rien entendu car elles continuaient leur quête du mâle
en rut comme si rien ne s’était passé. Mais cela ne signifiait
pas grand-chose, car dans ce métier — comme dans beaucoup d’autres
d’ailleurs — il vaut mieux s’en tenir aux règles
des trois petits singes : ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire est
un bon principe pour vivre vieux et tranquille…
La girelle se mêla à ses camarades, puis s’isola pour appeler
les pompiers depuis son téléphone portable. N’ayant plus
le cœur à turbiner, elle s’éclipsa en entendant la
sirène du véhicule de secours. Il lui faudrait se justifier
auprès de son mac, mais il valait mieux recevoir une bonne raclée
pour refus de travailler, plutôt que de se faire remarquer par la police
et d’être embarquée au poste comme témoin d’un
sordide accident.
Les sapeurs-pompiers en avaient vu d’autres bien sûr, mais un
sinistre comme celui-ci n’était vraiment pas banal. De multiples
traces de pneus sillonnaient la scène et le corps du blessé
était broyé à plusieurs endroits. Miraculeusement et
malgré ses nombreuses blessures, le jeune homme semblait respirer encore.
Un mince et fragile filet d’air le retenait encore à la vie.
Afin de pouvoir investiguer tranquillement, la police ferma la bretelle venant
du boulevard Michelet pendant que le jeune homme était embarqué
sur une civière dans le véhicule des pompiers en direction de
l’hôpital Sainte Marguerite.
Puis en chemin, le fourgon fut dérouté vers l’hôpital
Nord, car les urgences de Sainte Marguerite et celles de La Timone affichaient
complet pour la soirée.
*****
Doris repoussa du talon son chat étalé sur le canapé
comme s’il était le seigneur de cette maison, et elle, son humble
esclave. Il y avait un peu de cela d’ailleurs, mais elle devait malgré
tout sauvegarder les apparences, aussi tenta-t-elle de le remettre à
sa place.
Au début, Doris avait dû replier les jambes pour le laisser s’installer
à ses pieds. Puis le fourbe s’était insidieusement rapproché,
cherchant la chaleur animale de sa maîtresse. Et pour finir, Doris s’était
retrouvée adossée contre un accoudoir, les genoux collés
au menton, et le matou vautré sur son peignoir, le ventre en l’air.
Le félin malin ouvrit un œil mi-clos et laissa échapper
un râle de protestation. Doris ne se laissa pas intimider et le replaça
à distance respectable pour qu’elle pût détendre
ses jambes ankylosées.
Au milieu des reliefs d’un plateau-repas posé sur la table basse
du salon, Doris attrapa une tasse dans laquelle infusaient quelques feuilles
de verveine de son jardin. Elle en but une gorgée et bâilla tout
à la fois de sommeil et d’ennui. Le film du dimanche soir qu’elle
regardait à la télévision ne la passionnait pas outre
mesure.
Depuis qu’elle était rentrée chez elle dans l’après-midi,
elle avait traîné en peignoir, trop lasse pour lire ou faire
le ménage. Elle n’avait eu que la force de s’abrutir devant
l’écran à zapper de chaîne en chaîne. À
cette heure tardive de la soirée, il lui restait encore à prendre
sa douche. Elle soupira de lassitude, éteignit le poste puis se ravisa
en voyant son chat lever la tête d’un air interrogateur. «
Est-il l’heure de se coucher ? » semblait-il demander.
Doris ralluma aussitôt la télévision et laissa le chat
fixer les images qui défilaient au rythme trépidant d’une
course-poursuite en voiture dans les rues en pente de San Francisco.
« Si ça t’amuse de suivre ces bêtises, je ne vais
pas t’en priver… » lui dit-elle en rassemblant autour d’elle
les pans de son peignoir, avant d’ajouter : «… et puis cela
t’évitera de prendre toute la place dans le lit ! »
En effet, le chat de Doris avait la fâcheuse habitude de se glisser
sous la couette et de s’installer au milieu du matelas avant de sombrer
dans un sommeil bruyant. De fait, il ronflait comme un puma et Doris avait
plus d’une fois songé à le faire opérer, comme
son ex-mari qu’elle avait obligé à subir l’ablation
de la luette pour qu’elle pût dormir au calme. Peut-être
cela avait-il été la cause ou du moins le déclencheur
de son divorce. Il l’avait traitée de femelle castratrice. Son
mari, pas le chat ! Du coup elle n’avait pas touché à
l’intégrité physique de son gros matou qui n’avait,
par ailleurs, rien à envier à un castrat…
Tout en songeant à son mariage raté, Doris laissa glisser son
peignoir sur le carrelage de la salle de bains et pénétra dans
la cabine de douche. Elle ajusta le rideau de plastique transparent, puis
régla l’eau à température avant de se laisser aller
à la caresse du jet. Elle oublia instantanément son ex-mari
grincheux et son chat trop envahissant. Pour mieux ressentir la plénitude
de l’instant, elle ferma les yeux et resta ainsi immobile, savourant
la chaleur de l’eau sur sa peau, avant de répandre sur son corps
un gel douche à l’odeur délicate de fleur de Tiaré.
Bientôt elle fut enveloppée d’une mousse ensoleillée
au parfum lumineux qui la transporta au cœur des îles polynésiennes…
D’un coup, Doris se retrouva au pied d’une cascade cristalline
en bordure d’un lagon aux eaux turquoise qui léchaient une plage
de sable blanc où des bosquets aux feuilles vernissées offraient
leurs fleurs couleur de neige en répandant une odeur de paradis.
Au loin, un bruit de verre brisé tinta.
Le bruit venait de très loin, de quelque part dans la réalité
dont elle s’était évadée. Dans son esprit engourdi
de bien-être, la cascade cristalline se métamorphosa en un verre
de cristal qu’une note de musique pure et limpide faisait éclater
en mille morceaux.
Par-delà les îles lointaines où elle s’était
réfugiée, elle reconnut toutefois le miaulement irrité
de son gros chat et comme une mère à l’appel de ses petits,
elle quitta aussitôt son rêve éveillé.
« Qu’est-ce que tu as encore cassé, espèce de maladroit
? » cria-t-elle comme si le chat pouvait lui répondre.
Ce qu’il fit d’ailleurs en poussant un râle furieux.
Doris l’imagina alors : le dos rond, les poils hérissés,
les griffes prêtes à sortir, la gueule ouverte montrant ses petites
dents pointues à… À qui ? À qui pouvait-il faire
son cinéma de gros chat méchant ? À part elle, il n’y
avait personne à la maison, depuis longtemps déjà, depuis
que son ex-mari avait foutu le camp avec simplement une valise de linge…
Mais cela était de l’histoire ancienne. Elle se concentra sur
le présent.
« Ce n’est pas la peine de te mettre en colère si tu as
simplement cassé ma tasse de tisane. Ce ne sera pas la première
fois. Tu n’es qu’un empoté. On a jamais vu un chat aussi
gauche. Tu fais honte à ton espèce ! » lança Doris
en riant, tout en se rinçant de la mousse parfumée qui luisait
encore sur sa peau. Puis, elle s’aspergea une dernière fois avec
le jet, tira le rideau qui protégeait le carrelage des éclaboussures,
et sortit de la douche. Elle se saisit d’une serviette qui pendait près
du radiateur et se sécha de haut en bas.
Elle enfila ensuite un peignoir et ouvrit la porte de la salle de bains. Le
nuage de vapeur s’échappa de la pièce en glissant dans
le couloir comme un feu follet sur un étang. Doris le suivit vers le
salon, curieuse de connaître la raison de la colère de son gros
chat d’amour.
Alors qu’elle s’approchait de la porte, elle vit — comme
elle si attendait — sa tasse de tisane répandue sur le sol. Mais
curieusement, celle-ci était intacte. Le tapis que Doris avait ramené
d’un de ses nombreux voyages au Maroc l’avait préservée.
Elle haussa les sourcils d’un air étonné. D’où
venait donc le bruit de verre qu’elle avait cru percevoir tout à
l’heure ? Elle fit un pas et pénétra dans le salon.
Au même instant, elle entendit son chat pousser un miaulement haineux
et sentit une main se poser sur sa bouche, l’empêchant de manifester
sa surprise par un quelconque cri.
La main était gantée, lui sembla-t-il d’après le
goût de cuir qui lui emplissait le palais, mêlé à
l’acidité de la peur qui se déversait dans tout son être.
Doris s’agrippa à cette main, cherchant à la détacher
de son visage, tout en se tortillant comme un ver pour échapper à
l’emprise d’un bras qui la plaquait contre un torse puissant.
Son agresseur la laissa se débattre un instant, attendant qu’elle
se fatiguât un peu, avant de la soulever tout en serrant sa gorge à
deux mains. Doris suffoquait maintenant. Un voile rouge et noir s’abaissait
lentement derrière ses pupilles dilatées.
Alors qu’elle sentait ses poumons éclater sous la pression impérieuse
de l’appel d’oxygène, elle perçut une ombre rousse
qui sautait de la table basse et qui volait à son secours.
Son valeureux chat, toutes griffes dehors, se planta sur la tête de
l’homme qui l’assaillait et chercha à lui arracher les
yeux.
Un passe-montagne de laine épaisse couvrait le visage de l’agresseur
et le protégeait des griffures de l’animal mais l’homme
ne pouvait rester sans se défendre. Il lâcha Doris qui s’effondra
à ses pieds comme une poupée de son mal rembourrée, puis
se saisit du félin déchaîné qui s’excitait
de plus en plus, accroché à son couvre-chef.
L’animal se contorsionnait tout en brassant l’air de ses griffes
à la recherche du contact. L’homme le tenait maintenant à
bout de bras. Il devait agir vite pour s’en débarrasser. Il entendait
derrière lui le souffle rauque de sa victime qui, peu à peu,
reprenait ses esprits.
L’homme parcourut la pièce du regard et accrocha la cuisine américaine
dans le fond du salon. Il s’en approcha à grandes enjambées,
décidé à se défaire de son encombrant colis. Il
avisa les différents placards et appareils ménagers, puis se
décida pour un large micro-onde.
D’un doigt, il déclencha l’ouverture automatique, et d’un
geste vif, lança le félin teigneux sur le disque de verre. Sans
hésiter, l’homme ferma la porte et programma la puissance maximum
tout en sélectionnant le temps de fonctionnement, puis il activa le
micro-onde.
Doris poussa un cri d’effroi. Alors qu’elle tentait de se relever,
elle vit son chat adoré, propulsé dans le four. Elle hurla de
douleur et se précipita pour le sortir de sa cage mortelle, mais l’homme
avait déjà enclenché le manège infernal du plateau
tournant.
Tout d’abord, le chat ressentit comme une douce chaleur naître
dans les tréfonds humides de son corps, puis très vite il la
sentit grandir en puissance jusqu’à devenir une brûlure
insupportable qui se propagea dans toutes ses veines et ses artères.
Soudain, tous les liquides corporels du matou se mirent en ébullition
et Doris assista à l’explosion par morceaux de son animal favori
: d’abord les yeux verts qui éclatèrent comme des raisins
trop murs ; puis l’abdomen qui s’ouvrit et laissa jaillir les
organes fissurés comme des grenades saturées de soleil ; et
finalement l’ensemble des chairs dont le sang ne pouvait plus rester
en place, trop excité qu’il était par la stimulation frénétique
des ondes électromagnétiques.
Doris se jeta sur le meurtrier de son compagnon de tous les jours et tenta
de lui lacérer les yeux, elle ne put que lui arracher le passe-montagne
et soudain, resta figée, interloquée, face au visage qu’elle
découvrit devant elle.
Cet instant de stupéfaction lui fut fatal. L’homme la saisit
par le cou, l’enserrant des deux mains, les traits tordus par l’effort.
Doris se débattit frénétiquement. Elle tenta de tordre
les doigts qui l’étouffaient puis elle donna des coups de genoux
dans les parties sensibles de son agresseur, mais celui-ci résista
à la douleur, ne laissant échapper qu’un grognement de
bête blessée. Très vite ses forces l’abandonnèrent
et elle perdit connaissance.
Elle glissa dans la mort en pensant qu’elle risquait fort de retrouver
son chat dans l’au-delà. Le félin malicieux devait certainement
l’attendre quelque part, étalé de tout son long sur un
nuage douillet.
Le meurtrier, quant à lui, prit son temps. Il s’assura tout d’abord
que sa victime ne respirait plus, puis il la laissa choir sur la terre cuite
du salon. Ensuite, d’un geste méthodique, il renversa tous les
objets dans la pièce, avant de se rendre dans la chambre et de mettre
à sac la penderie et la table de chevet. Il enfouit dans ses poches
les quelques bijoux et le peu d’argent liquide qu’il trouva. De
retour au salon, il éteignit les lumières et, dans la pénombre
qui filtrait du dehors à travers les vitres, il arracha le peignoir
de celle qu’il venait d’étrangler.
Son corps nu était maintenant étendu devant lui, inerte sur
le carrelage couleur de sang pas frais. L’homme sembla hésiter
un instant, puis il laissa échapper un soupir avant de marteler les
seins blancs de sa victime.
Il s’acharna ensuite sur le ventre, les cuisses, le pubis et remonta
de nouveau vers la poitrine avant de s’en prendre au visage. Il constata
alors que ses coups ne laissaient pas suffisamment de marques aussi alla-t-il
chercher un couteau dans un tiroir de la cuisine et recommença à
s’attaquer au corps tuméfié.
L’assassin enfonça le manche du couteau dans les orifices intimes
de sa victime puis réitéra ses profanations avec la lame de
l’instrument.
Soudain, il sentit la bile lui monter aux lèvres. Il arrêta ses
mutilations craignant qu’il ne vînt à vomir sur le lieu
du crime, ce qui aurait été particulièrement gênant.
Non qu’il fût soigneux par nature, mais il rechignait à
laisser son empreinte génétique étalée un peu
partout avec sa salive répandue sur le carrelage.
Avant de quitter la maison, il jeta le couteau de cuisine sur le canapé,
face à la télévision où un présentateur
somnolent récitait les dernières nouvelles de la journée.
Doris n’en faisait pas encore partie, mais cela ne saurait tarder…
En attendant, le meurtrier fit un dernier tour dans les pièces puis
s’esquiva en passant par la porte d’entrée : il n’avait
plus besoin d’escalader la vitre qu’il avait brisée pour
pénétrer dans la maison ; cela lui évitait le risque
de se blesser.
*****
Les deux fourgons de pompiers — dont l’un transportait Gérard,
le passager du vol Marseille Paris, et l’autre Fred, l’accidenté
de la route — se présentèrent en même temps aux
abords de l’hôpital Nord. Les chauffeurs firent alors la course
pour savoir qui livrerait en premier son colis. Dans leur empressement, ils
oublièrent d’arrêter leur sirène, aussi ce fut dans
un vacarme assourdissant qu’ils stoppèrent leur véhicule
à l’entrée du service des Urgences, au mépris des
nombreux panneaux de signalisation qui invitaient au plus complet silence.
Malgré tout ce bruit, aucun brancardier ne se précipita auprès
de leur fourgon, aussi, après avoir grommelé comme quoi les
Urgences n’étaient plus ce qu’elles étaient, les
pompiers descendirent eux-mêmes leurs passagers inconscients et les
amenèrent jusqu’à l’accueil du service en poussant
et tirant leurs brancards aussi vite qu’ils le purent. Dans le couloir
qui y menait, la partie devint une véritable course de bobsleigh, dont
l’équipe de Gérard sortit vainqueur. De justesse toutefois.
« C’est à qui le tour ? demanda une jeune femme d’un
air las.
- Notre client est arrivé en premier, répondit le pompier agrippé
au brancard où reposait Gérard, un masque à oxygène
plaqué sur le visage.
- Attendez, attendez, le nôtre est en plus mauvais état, rétorqua
le pompier qui coachait les intérêts de Fred.
- Reprenons : où avez-vous dégotté votre patient ? demanda
l’interne fatiguée à l’ange gardien de Gérard.
- Malaise dans un avion ! répondit-il.
- Et nous, AVP, accident de la voie publique ! lâcha triomphalement
l’autre pompier.
- OK, OK, on va les prendre tous les deux. Mathias ! Zoé ! Venez ici
! Nous avons deux arrivées urgentes. Amenez-les dans la salle d’examen.
»
Mathias héla à son tour un infirmier assoupi sur un banc et
l’entraîna à sa suite derrière le brancard de Gérard.
Zoé réquisitionna une infirmière qui discutait avec une
collègue penchée sur le comptoir de l’accueil, et emmena
Fred. Puis, les deux étudiants de quatrième année de
médecine assistèrent aux premiers examens, effectués
par des internes chevronnés.
Dans le cas de Fred, on fit le recensement de ses nombreuses fractures et
l’on s’attaqua à la dure tâche de lui retirer son
casque brisé et enfoncé sur tout un côté. Une fracture
au niveau des cervicales empêchait de le faire glisser sans risque,
aussi usa-t-on des grands moyens : une scie circulaire en vint à bout
et il s’ouvrit rapidement en deux, comme un abricot au soleil du midi.
Et — ce qui n’était pas prévu par l’équipe
médicale — le crâne suivit : ce dernier avait éclaté
lors de l’accident à l’intérieur du casque de mauvaise
qualité, au premier choc sur le bitume.
« De toute façon, il était fichu, déclara l’interne
en guise d’oraison funèbre. Zoé, tu prépareras
le certificat de décès pour le faire signer au patron.
- Bien sûr, répondit-elle. Doit-on faire des analyses pour connaître
les circonstances de l’accident ?
- Ce n’est pas la peine… » commença l’interne,
puis craignant qu’on ne lui reprochât par la suite une négligence
supplémentaire, reprit :
« Finalement oui ! Fais réaliser les analyses habituelles. Quand
ce sera fini, tu feras descendre le corps à la morgue. Vérifie
que l’on mette bien du coton dans tous les orifices, ça va couler
de partout d’ici peu !
- Je sais, ce n’est pas mon premier mort, n’aie crainte. »
L’état de Gérard était moins désespéré.
Certes il était complètement paralysé mais il respirait
toujours et son cœur battait de manière presque régulière
au fond de sa poitrine. L’interne donna ses instructions :
« Mathias, tu places le patient en salle de réanimation et tu
règles les questions administratives avec les admissions.
- Il en a pour longtemps, non ? demanda Mathias.
- Ça, on peut le dire sans risque de se tromper ! »
Mathias chercha tout d’abord une infirmière pour s’occuper
de Gérard, puis ne trouvant personne de disponible, il se résolut
à s’en charger lui-même, bien que ces tâches ne fussent
pas de son ressort d’externe. Mathias installa alors Gérard dans
la salle de réanimation et brancha les différents tuyaux et
sondes qui allaient maintenir et surveiller ses fonctions vitales. Bien que
cela ne fût pas non plus l’habitude, il effectua, à la
place du personnel infirmier, des prélèvements sanguins qu’il
envoya aussitôt au laboratoire, avant de s’atteler en soupirant,
aux tâches administratives.
Alors qu’il fouillait les poches de la veste de son patient à
la recherche de papiers d’identité, un téléphone
se mit à vibrer. Par réflexe, Mathias s’en saisit, puis
hésita un instant. Enfin, il se résigna à répondre.
« Autant annoncer la mauvaise nouvelle dès maintenant »,
pensa-t-il, avant de murmurer :
« Allô !
- Gérard ? Je t’entends très mal. T’es où
? lança une voix avec un accent marseillais à couper au couteau.
- Excusez-moi, mais je ne suis pas Gérard, répondit Mathias
en plissant le nez.
- Faites excuses, j’ai dû me tromper de numéro…
- Je crains que non !
- Je ne comprends pas… C’est bien le portable de Gérard
?
- Oui, mais Gérard ne peut pas vous répondre.
- Allez, arrêtez la plaisanterie, passez le moi !
- Je vous dis qu’il ne peut pas vous répondre.
- Et pourquoi ça ?
- Il est dans le coma.
-…
- Vous êtes toujours là.
- Oui, oui ! Que lui est-il arrivé ?
- Un malaise dans l’avion, d’après ce qu’ont dit
les pompiers.
- Je vois.
- Vous voyez quoi ?
- Simple façon de parler.
- Vous êtes qui d’ailleurs ?
- Un ami de Gérard.
- Vous voulez prévenir sa famille ?
-…
- Je n’ai pas entendu votre réponse.
- Je préférerais que vous vous en chargiez.
- Oui, je comprends.
- Il est où actuellement ?
- Au service des Urgences à l’hôpital Nord.
- Prenez soin de lui… »
Et la communication fut interrompue. Mathias reposa le téléphone
dans la poche du veston de son patient et retourna compléter la fiche
d’admission de Monsieur Gérard Delpli, chef d’entreprise
de son état, et domicilié dans le quartier chic du Roucas Blanc.
Mathias feuilleta le passeport de son patient et fut surpris par le nombre
impressionnant de visas qu’il comportait. L’homme était
assurément un grand voyageur. Une carte de crédit glissa d’entre
deux pages, sur le bureau. Mathias la ramassa et la remis à sa place
après l’avoir regardée. Elle était au nom d’une
société : Pizza Velocità
Pendant ce temps, Zoé rédigeait avec application le certificat
de décès de Monsieur Frédéric Santucci, étudiant
à l’École des beaux-arts de Marseille située sur
le campus de Luminy. Une fois terminé, elle le déposa sur le
bureau du chef de service afin qu’il y apposât sa signature. Elle
aurait voulu se reposer quelques instants car cela faisait déjà
plus de quinze heures qu’elle était de garde, mais une nouvelle
arrivée perturba ses plans.
Cette fois le patient était une patiente. Et il n’y avait pas
grand-chose à faire pour elle. Elle était visiblement morte.
Assassinée de surcroît. Zoé fut impressionnée par
l’état du corps et ne put s’empêcher de questionner
les pompiers qui l’accompagnaient.
« La police nous a demandé de transporter le corps à la
morgue, commença l’un d’eux.
- C’est un voisin de la p’tite dame qui l’a découverte
ainsi. Il revenait du théâtre et il a remarqué que sa
porte était ouverte, continua son coéquipier.
- Il a appelé la police tout de suite, mais il était trop tard.
Fêtera pas la Noël, la pauvre.
- Elle est dans un sale état, mais vous auriez vu son chat !
- Le salaud qu’a fait le coup, il l’a mis dans le micro-onde.
Le chat a complètement éclaté. Y’en avait partout
!
- Ouais ! Pas beau à voir !
- Zoé, au lieu de bavasser avec nos amis les pompiers, tu ferais mieux
de rédiger un nouveau certificat de décès pour ta nouvelle
patiente. Ton précédent était parfait, lança le
chef de service en s’approchant du petit groupe. Tu le remettras au
médecin légiste directement, cela lui fera plaisir de voir qu’on
lui a préparé le travail… »
« C’est toujours moi qui me tape les certifs. Y’a pas marqué
secrétaire d’état civil sur mon front ! » grommela-t-elle
en s’éloignant.
« Pardon, tu as dit quelque chose ? demanda le médecin chef.
- Non, non…
- N’oublie pas de faire pratiquer les prélèvements pour
les analyses pendant que le corps est encore frais.
- Je sais ! Et je fais mettre aussi du coton dans les orifices et je l’envoie
à la morgue. La routine quoi !
- Non ! Surtout pas le coton… Le médecin légiste doit
d’abord faire l’autopsie du cadavre. Mais qu’avez-vous appris
en cours ? »
Voir le catalogue de 17 romans